KAZAN (WATANABE)

KAZAN (WATANABE)
KAZAN (WATANABE)

Esprit aux idées généreuses et très avancées, quoique fidèle au système féodal, peintre à la fois novateur et traditionaliste, tel apparaît Watanabe Kazan. Le Japon connaissait de son temps les derniers soubresauts de la féodalité s’efforçant d’endiguer les idées nouvelles, tandis qu’en matière artistique, la peinture, qu’avait usée l’éclectisme, cherchait à sortir de l’impasse.

Par son double destin de samurai et de peintre, Kazan vécut intensément le malaise de son temps. Par la dualité de son caractère où se mêlent conservatisme et inquiétude, il est un personnage typique de fin d’époque. En lui s’incarne, en quelque sorte, la transition difficile entre l’ancien régime et l’ère moderne, entre une tradition picturale qui semblait avoir tout dit et le renouveau qui soufflait d’Occident.

Victime d’une société

Fils d’un samurai du clan de Tawara en Mikawa (aujourd’hui préfecture d’Aichi), Watanabe Kazan naquit à Edo en 1793. En dépit de leurs embarras d’argent, les parents soignèrent l’éducation de ce fils aîné, caressant même le projet d’en faire un lettré confucéen. Mais l’indigence eut vite raison de cet espoir ambitieux et l’on orienta Kazan vers la peinture.

À l’encontre de tant d’hommes d’épée qui, séduits par les arts graphiques, s’y adonnaient exclusivement, Kazan ne s’écarta nullement de la vie publique. Dévoué à son clan avant tout, il ne demanda longtemps à la peinture qu’un supplément de ressources. Sa carrière fut d’ailleurs marquante: on le promut bientôt chef de ses covassaux et, à ce poste, il administra les domaines du clan avec conscience et adresse, faisant preuve d’un esprit très ouvert et curieux de l’apport étranger.

Il y avait, à l’époque, des intellectuels progressistes, les Rangaku-sha , qui étudiaient dans le texte les ouvrages hollandais, alors seule information qui vînt d’Occident. Avec certains d’entre eux et en raison de leurs connaissances précieuses, Kazan forma un cercle où se discutaient avec passion les problèmes d’un système en déroute. Ses intentions n’étaient aucunement révolutionnaires: au contraire, par loyalisme envers son suzerain, il recherchait en toute objectivité les possibilités de réforme.

Mal compris, Kazan et ses amis s’attirèrent les haines des conservateurs confucéens et des ultra-féodaux. De son côté, le gouvernement, dont l’autocratisme chancelait et qui entendait le raffermir, décida d’interdire pareille liberté de pensée. Et, en 1839, la répression s’organisa contre Kazan et ses amis. Inculpé de conspiration, incarcéré, il encourait la peine de mort. Grâce à des interventions amies, la sentence rendue contre lui se limita à la résidence surveillée à Tawara, sous la responsabilité de son clan.

Déchu de ses fonctions, Kazan tomba dans un dénuement extrême, avec la peinture pour seul moyen de subsistance. Ses détracteurs, pourtant, ne désarmaient pas: ils entretinrent contre lui une campagne de diffamation, en présentant son activité d’artiste comme un défi envers l’autorité. Vaincu par tant de malveillance, craignant de susciter des ennuis à son seigneur, Kazan choisit en 1841 de se donner la mort. Il avait quarante-huit ans.

Peintre traditionaliste et dessinateur original

D’origine chinoise, l’école Nanga, après avoir atteint son épanouissement dans le Kansai (région de Ky 拏to- 牢saka) au XVIIIe siècle, n’avait conquis Edo qu’avec un retard considérable, et ce grâce à Tani Bunch 拏 (1764-1840). Ce dernier lui donna, en fait, une empreinte spéciale faite d’éclectisme: aux traditions Nanga, il mêla les techniques nationales Tosa et Kan 拏, des éléments chinois Ming et Qing et même des principes européens.

C’est dans l’atelier de Bunch 拏 que Kazan entra, lors de ses dix-sept ans, pourvu d’une première expérience acquise auprès de maîtres secondaires. D’emblée, le maître décela la valeur de l’élève et se plut à le considérer comme son disciple de choix.

Jusqu’aux approches de la trentaine, Kazan poursuivit sa formation en exécutant force copies d’œuvres anciennes, tant japonaises que chinoises (surtout de Yun Shouping et Shen Nanping). Or, tout en copiant, il gagna peu à peu une touche réaliste particulière. C’est là une tendance qui, dans son œuvre, alla toujours en s’affirmant jusqu’à constituer son originalité. L’influence européenne renforça cette volonté d’objectivité et de vérité, sans toutefois dessécher l’imagination de l’artiste, ni l’entraîner à une docilité scrupuleuse à l’égard des principes étrangers.

Ce n’est pas dans la production officielle de Kazan qu’il faut chercher son talent propre. Ses peintures de commande répondent aux canons professés par l’époque et le milieu, et leur valeur est surtout documentaire. En marge de cette œuvre, il a laissé de nombreux carnets et rouleaux de dessins, d’études, de croquis où se révèle une manière toute personnelle. Ce sont des impressions fugitives laissées par les êtres et les paysages, transcrites à la hâte. Tous les aspects de Kazan s’y combinent: fraîcheur et liberté, nervosité du dessin et dépouillement progressif jusqu’à l’essentiel, observation aiguë doublée de poésie, insertion heureuse de principes européens dans la technique orientale.

Le rénovateur du portrait

Les portraits de Kazan occupent un premier plan dans la peinture japonaise, non qu’ils rompent avec une tradition ancestrale, mais parce qu’avec leur réalisme nouveau ils atteignent un moment d’équilibre.

Dès les hautes époques, le Japon possède une tradition du portrait; religieuses ou rituelles, ces représentations commémoraient des moines éminents, des patriarches de sectes. Le réalisme, fort éloigné de la conception occidentale, ne s’introduisit dans cet art qu’au milieu du XIIe siècle, avec les nise-e (images ressemblant à la réalité). Ici tout se ramène à une géométrie des formes fondées sur quelques lignes où la couleur n’a qu’une valeur décorative. Avec une extrême économie de moyens par une simplification hardie, le sujet est transposé et la personnalité du modèle se réfugie tout entière dans le regard.

Kazan chercha à secouer les conventions séculaires pour cerner l’homme dans toute sa densité. Si de nombreux peintres avaient déjà assimilé des principes européens comme la perspective linéaire, le clair-obscur, personne avant lui n’avait songé à appliquer le modelé au portrait traditionnel. Au trait, qui reste la base de son dessin, à la couleur, qui renforce à la fois le réalisme et l’effet décoratif, Kazan ajoute le volume. En somme, le visage est seul en cause: les contours ont la finesse d’un trait de plume, le modelé est discret, le reste se fond dans la pure tradition japonaise.

Si la qualité de ses portraits tient évidemment à cette technique élaborée, elle dépend aussi pour beaucoup de la connaissance intime qu’il avait de ses modèles: il sut en exprimer l’essence même, car il réserva son activité de portraitiste à des êtres liés avec lui par des affinités étroites.

Les recherches de Kazan fécondèrent réellement la peinture japonaise: accueillant aux leçons de l’Occident, il sut se garder de la copie et réussit à créer au sein de la tradition une originalité faite d’humanisme et de réalisme.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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